Lors
de mon récent voyage à Montréal, j’avais glissé dans l’une des poches latérales
de mon sac, les copies de l’Indice
Bohémien de mars et avril auxquelles je n’avais accordé qu’une courte
attention. L’après-midi qui suivit l’opération, surprise de tels résultats, j’arrivai
à lire sans aucune aide, la chronique de Gabriel
David Hurtubise.
Avec
son consentement, je la reproduis ici textuellement. Ses mots m’ont particulièrement
touchée. Je me suis sentie transportée dans cette cabane à pêche. Je pouvais
sentir l’odeur de boucane relâché par l’apprenti poêle à bois. Et son vent. Je
le sentais son vent, brassé la cabane comme un vieux malaxeur s’apprêtant à
rendre l’âme.
Par
la rudimentaire fenêtre, j’apercevais les chicots. J’ai vu cette étendue d’eau.
Entendu gronder les dernières révolutions du moteur…
Peut-être
aussi… parce que ma Belle-Maman-de-23-années, était native de Saint-Zacharie.
Un petit village beauceron aux limites du territoire québécois, accolé à la
frontière américaine, où ses frères allaient travailler au bois.
Peut-être
aussi… parce qu’elle était l’aînée de cette grande famille de seize où trouva
la mort, dans pareilles circonstances, l’un de ses frères.
Peut-être
aussi… et c’est la raison principale, juste parce que les mots de M.
Hurtubise m’ont fait voyager dans la beauté de son écrit.
À
savourer lentement avec votre café matinal…
«
Une vieille épinette.
L’aîné
est venu de la Beauce avec sa famille, il y a très longtemps. Son père était un
jarret noir à qui on avait promis un royaume lors du plan Vautrin Au chaud dans
une cabane à pêche, il raconte la colonisation difficile, la mine qui tremble
et la coupe forestière. La soupe salvatrice aussi, pour les chanceux. La cabane
craque sous la force du vent. Bien avant d’en atteindre les murs de bois, la
chaleur se dissipe dans l’azur, loin d’ici, pas ici. Le froid, omniprésent et
mythique chez nous, est sujet à légende. L’hiver est si long qu’on en oublie le
reste. Là-dedans, on se sent comme dans une navette en dérive dans l’univers
froid et hostile. Toute la poésie du Nord est contenue dans ces petites
endroits clos, je le crois. Par la fenêtre, une vaste étendue de blanc, puis
des chicots d’épinettes tout rabougris trônant sur le roc.
Nous
les jeunes, on écoute plus ou moins ce qu’il dit. En plus, on comprend mal. L’usage
de ses mots n’a plus le même sens, aujourd’hui, ou bien nous est carrément
inconnu. En plus, il marmonne, n’entend pas toujours les répliques, s’interrompt
lui-même pour une blague. On croirait qu’une barrière culturelle se dresse
entre nous. Avant de partir en exploration, on nourrit le poêle à bois comme un
petit veau pour réchauffer le chiot, meilleur ami de l’homme.
Le
vieux connaît la cadence du feu, sait dompter cette bête qui avale des forêts.
De l’érable brûle plus longtemps. En gestes lents et précis, il orchestre nos
mouvements de ses mains d’écorce. Une grosse bûche à tel endroit. Son visage tordu
comme un pin laisse paraître une certaine inquiétude qu’il ne traduit pas en
mots. La barrière du temps. Tandis qu’on embarque en machine, il esquisse une
moue contestataire que personne ne remarque. Trop grands pour craindre la
nature, nous voilà partis. Derrière le vieil homme, la forêt s’étend à perte de
vue. En humbles seigneurs, les épinettes ont su courber l’échine à chaque
passage du Roi, car c’est l’hiver qui a fait pays ici. Un vieux conifère sait
se faire petit dans l’immensité.
Avec
sa petite fille restée derrière, il continue le récit, celui des récoltes
ravagées en territoire résolument sauvage, de la nature indomptable qu’il
observe patiemment, encore et toujours. Pour autant qu’il puisse s’en souvenir,
il a gossé du bois. Il a dessouché des arbres, débroussaillé, fait des chemins
forestiers, patenté des cabanes, cloué des planches. Après, quand trop de gens
sont partis des villages, il fallait même en planter pour ne pas laisser de
trous, misère! La ligne d’horizon est floue, le vent se lève. La lumière qui
perce la neige laisse entrevoir la glace, rappel d’un récent redoux pour l’homme
d’expérience. Nous sommes le Premier de l’an, pourtant. Une autre bête
sommeille sous nos pieds : c’est l’éveil du lac qui inquiète l’ancêtre.
La
glace s’est ouverte sous nous, la machine a sombré. L’eau si froide, la
lourdeur du corps. À chaque seconde qui passe, la peur du Roi. On avait
largement sous-estimé les caprices de Sa Majesté. Impossible de toujours penser
à la survie. À vrai dire, on n’y pense jamais. Tout ce qui vit ici est sujet du
froid et de ses caprices. La sagesse du vieux conifère réside dans son
humilité.
À
la mémoire d’Henri-Paul
Lamontagne »
Auteur :
Gabriel David Hurtubise, Chronique « Une vieille épinette », Indice
Bohémien, mars 2019
"L'Harricana en rappel", Amos, avril 2019 |
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